''NOS ANCETRES LES ARABES - Ce que [le français] leur doit'', un livre de Jean PRUVOST dont on ne parle pas assez - Par Mustapha SEHIMI

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Il y a plus de mots arabes que gaulois dans la langue française

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RENTREE: MAUVAIS DOSSIERS… Par Mustapha SEHIMI

C’est un livre décapant, publié en 2017 mais dont on ne parle pas assez alors qu’il faudrait le remettre sans cesse sur le métier : il rend justice à la langue arabe; en même temps, il témoigne de sa place dans la langue française*. 

Une histoire plus que millénaire avec un entrelacs de chemins de traverse. Contrairement à une idée reçue, le premier âge de celle-ci n'est pas vraiment le gaulois qui a laissé finalement peu de traces mais plutôt le latin puis la langue arabe portée par la conquête dès le début du 8ème siècle. Se développe ainsi une brillante civilisation dont les principaux centres furent Damas en Syrie, Bagdad en Mésopotamie, Le Caire en Egypte, Cordoue et Grenade en Espagne. 

L'âge d'or

C'était l'âge d'or des philosophes, des poètes, des médecins de grand renom. Tel Avicenne (980-1037), 1'un des grands savants de l'Orient et le médecin le plus célèbre de son temps ; ou encore Averroès (1126- 1198), juriste, médecin, resté célèbre pour son interprétation de la métaphysique d'Aristote laquelle a influencé considérablement la pensée chrétienne et juive du Moyen-âge. La langue arabe vient en troisième position parmi les langues que le français a le plus emprunté, tout juste après la langue anglaise et la langue italienne. L’académicien Ernest Lavisse aime à citer cette phrase où l'on parle arabe dès qu'on se lève :" Une tasse de café, avec ou sans sucre ?»- "Merci, plutôt un jus d'orange". Quatre mots issus de la langue arabe...Les premiers dictionnaires français à la fin du XVIème siècle témoignent de cette place : ils ont fait écho de l'univers arabe dans la langue française. L'historien Ernest Renan (1833 -1892), auteur des trente et un volumes de la Grande Encyclopédie, Inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts" et de l'Histoire des langues sémitiques" (1858), le dit en termes forts :"Le latin a été parlé de la Campanie aux îles Britanniques, du Rhin à l'Atlas; le grec de la Sicile au Tigre, de la Mer noire à l'Abyssinie. Qu'est-ce que cela comparé à l'empire immense de la langue arabe, embrassant l'Espagne, l'Afrique jusqu'à l'Equateur, 1'Asie méridionale jusqu'à Java, la Russie jusqu'à Kasa?".

Ce sont des milliers de mots qui sont d'origine arabe: abricot (al- barqua), aubergine (al-badundjan), artichauf (harsuf), caban (quaba), café familièrement caoua (qahwa), douane ( dîwân), épinard (isbinah), fanfaron (farfar signifiant" bavard", "léger"), gilet (galika), jupe ( djubbah), magasin (mahzin désignant un dépôt, un bureau), quintal (quintar), rame de papier (rizma, ballot), ramdam ( ramadan parce qu'à la suite du jeune, la nuit venue, l'activité reprend toutes ses forces), sucre (sukkar), tarif (tarifa, un substantif construit à partir du verbe arrafa, annoncer, informer, faire connaître), ministre (vizir), chiffres et zéro d'origine arabe...

Un grand voyage à travers les siècles

Des milliers de mots donc témoignant d'un grand voyage à travers les siècles. Des emprunts faits à la langue arabe qui sont de deux sortes: l'emprunt nécessaire qui correspond à une chose nouvelle- le satin, le jasmin -issue de cette civilisation; et l'emprunt de luxe, dira-t-on, qui n'est pas a priori indispensable mais qui résulte de l'effet de style: donne du relief à ce qu'on aurait pu dire avec des mots déjà existants dans la langue française. Diverses voies ont été principalement empruntées pour entrer en langue française; elles sont distinctes dans leurs sphères d'influence. Deux d'entre elles sont fondées sur des justifications religieuses. La première est celle des croisades, du XIe au XIIe siècle, sous l'impulsion de la papauté, conduites en partant de l'Europe chrétienne pour reprendre aux musulmans les Lieux saints. La seconde, elle, est également religieuse avec les conquêtes arabes au lendemain de la mort du Prophète Sidna Mohammed: à l'est de la Palestine (Syrie, Arménie); à l'ouest (Egypte, Cyrénaïque, Afrique du Nord).

Une autre voie, inhérente à la conquête de l'Espagne et à son occupation durant sept siècles, est savante et passe par les bibliothèques, les écoles et les universités ; elle aura une grande influence dans le monde occidental. La quatrième voie d'emprunt des mots arabes en langue française regarde les voies commerciales qui se sont développées sur le pourtour du bassin méditerranéen. La cinquième voie, récente, est celle de mots familiers liés à la colonisation de l'Afrique du Nord tout autant que sa décolonisation. Cela donne des échanges linguistiques : toubib, bled, burnous, djeballa, tarbouche, chechîa, maboul (mahbul), couscous, merguez, méchoui. Enfin, la dernière voie est relative aux cités dans les grandes métropoles régionales françaises ainsi qu'au…rap. Ce genre musical véhicule en effet dans ses paroles bon nombre de mots d'origine arabe. 

Altérité et enrichissement

Les mots voyagent: ils racontent une histoire, souvent en transitant par différents pays. Au final, une vaste fresque linguistique : tout un menu culinaire et gastronomique mais aussi un mode de vie - le soin du corps, les parfums, les bijoux, les étoffes raffinées ... A travers la langue française et des échanges avec les pays d'Afrique du Nord, n'est- ce pas deux cultures et même deux civilisations qui se côtoient intimement depuis près de deux siècles ? Chacune a son lot de pratiques et de valeurs, sans doute; mais elles s'enrichissent souvent à leur insu d'ailleurs. Avec des concepts. Et des perceptions propres. Deux langues internationales qui débordent de leur territoire originel, riches d'une puissante littérature. Un flambeau des savoirs à consolider alors que des courants populistes et identitaires, des deux côtés, s'attellent à mettre en équation l'état des lieux linguistique et culturel actuel. Ils préfèrent s'attacher plutôt à l'altérité présumée des deux langues, éligibles à leurs yeux en dernière instance au choc de l'Occident et de l'Islam....

* Jean Pruvost, "Nos ancêtres LES ARABES - Ce que notre langue leur doit", éd. JC Lattès, Paris, 2022, 300 p.

 

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